mardi 2 août 2011

Gabriel Yacoub - Bel



Yacoub avait déjà sorti un album solo du temps de Malicorne ("Trad. Arrgt" , en 1978), quand le groupe commençait à battre de l'aile et lorgnait déjà vers l'électrification de façon un peu indigeste. D'inspiration exclusivement traditionnelle, c'était peut-être une façon de compenser les premiers errements du groupe. Puis un jour, comme il le chante lui-même dans son dernier album, Gabriel Yacoub s'est fait poète. Le besoin de délaisser les textes traditionnels s'était déjà fait sentir dans le (très mauvais) avant-dernier album de Malicorne, "La Balançoire en Feu".

Malheureusement, le choix d'Etienne Roda-Gil n'était guère pertinent, et la musique engluée dans une sorte de folk-rock pas très heureux. L'album suivant, "Les Cathédrales de l'Industrie", paru sous le nom de Malicorne en 1986, mais originellement conçu comme un projet solo (après la balançoire, c'est le torchon qui brûlait entre les membres du groupe) a vu naître un Yacoub auteur-compositeur capable de grandes choses ("Je Resterai Ici", "Il me Reste Un Voyage à Faire"…), même si le son, très années 80 (aargh, cette caisse claire… et cette basse gluante de flanger... pitié…), ne rend aujourd'hui pas justice à ces chansons.

"Bel", sorti, en 1990, après une première tentative solo post-Malicorne anecdotique ("Elementary Level of Faith"), est un chef-d'oeuvre. Moins aventureux que "Les Cathédrales de l'Industrie", on y retrouve une instrumentation essentiellement acoustique, des relents de folk ("Ma Délire", "Nous Irons en Flandre"), et des compositions d'une rare beauté ("Les Choses Les Plus Simples"). Yacoub n'a jamais mieux chanté, et prouve ici que les modes anciens peuvent s'accorder à merveille d'une poésie contemporaine, sans pour cela céder aux sirènes des synthétiseurs FM, boites à rythme et autres critères de modernité. Ce n'est ici plus tout à fait du folk, mais de la chanson simple et belle, avec le cachet et la patte d'un grand monsieur qu'on ne saurait cantonner dans son fardeau d'ex-membre de Malicorne. La suite sera tout aussi intéressante, même si Yacoub retombera dans le piège de la modernité apparente qui vieillit tout aussi vite, saupoudrant parfois sa musique d'une touche World Music tout aussi artificielle.

Si l'on devait comparer cet album à d'autres, disons que Yacoub tient ici son "Blonde on Blonde", instant magique jamais plus retrouvé. Parfait d'un bout à l'autre, merveilleuse synthèse des influences d'un grand musicien ici en pleine possession de ses talents, exorcisant ses vieux démons et prouvant enfin que non, il n'est pas qu'un folkeux - doué certes - condamné à ressasser toujours le même répertoire. Il conserve la marmite, et y cuit ses propres ingrédients, pour notre plus grand bonheur.

Evidemment épuisé depuis belle lurette, voici une occasion rare de le redécouvrir.

mardi 7 juillet 2009

Corringe - A suivre


Michel Corringe... encore un grand oublié de la variété verdâtre chère à Nino Ferrer. Pas commercial, le Michel. Après avoir cartonné avec La Route, il n'en fait qu'à sa tête, et produit des disques sans succès, outre un succès d'estime, mais qui lassera sa compagnie de disque (comme on disait à l'époque). Pauvre gars incapable de transformer l'essai, trop free, trop alcolo sans doute et bien trop intègre certainement :

Grand fêteur grand buveur
Disaient de moi mes amis
Vous qui aviez tant de gueule
Je ne vous entends je suis seul

Ca vous rappelle pas Just Like Tom Thumbs' Blues de Dylan ? Moi si.

Mais Corringe c'est la classe. Jamais reédité/masterisé/marketisé, et pour cause, il aurait détruit tous les masters de ses albums. Si la légende est plus belle que la vérité, hein, comme disait Liberty Valance... Magic Records vient de reéditer son 1er album (avec La Route, de loin pas le meilleur, et il manque La Douce, et la pochette est à chier, zéro livret, mais bon...), tout espoir n'est pas perdu ? Y'a pas quelqu'un, quelque part qui comprenne ? Qui pourrait fouiller dans ce qui reste des archives de RCA pour retrouver des bandes ?

En attendant, voici A Suivre. Sorti en pleine période punk (1977, pour les djeuns), c'est quelque part l'aboutissement. De bons musiciens (le pianiste, wouh...), de bien belles chansons (à part le discoïde Révolté, qui cède aux sirènes de l'époque, mais enfin quoi, Corringe disco ! Y'avait un Directeur Artistique dans le studio ?), toujours un peu désuètes (liberté, libeeertééé !!!), mais c'est un peu facile de qualifier tout ça de désuet, quand on est blasé et que le-président-dont-on-ne-doit-pas-dire-le-nom est en train de flinguer ce qui l'en reste, de libertés....

Après ça sortira un Tatouages un peu sirupeux, et puis Corringe épatera son monde avec un album limite punk, genre je casse mon image (J'ai peur j'ai mal mais je t'aime, mais je l'ai pas retrouvé alors...), un album limite bof (Aldebaran) et puis plus rien. Jusqu'en 1997 où il sortira Phenix, mélange de vieux morceaux remis au goût du jour avec des potes du coin (l'arrangement de La Route avec son synthé à trois balles est infect, mais J'ai tant rêvé de toi au piano est superbe) et de nouvelles compos, euh... sur lesquelles on jettera gentiment un voile pudique. Quelques concerts dans des fêtes de village, d'autres annulés ou plantés (trop bourré) et puis un petit cancer et basta. Salut l'artiste. Dommage, quand un Sardou continue de dégueuler ses merdes impunément.

Voilà voilà... Cet album, A Suivre, qu'est-ce que j'ai pu l'écouter quand j'étais ado... Prêtez une oreille indulgente quand ça part trop beatnick, et profitez du reste. Des arrangements du tonnerre (l'intro d'Ecce Homo, on dirait du Zappa...). En tout cas ça c'est de l'intégrité, je persiste. Pas de compromis. Profitez, téléchargez, diffusez.

Des fois que l'industrie du disque retrouve des bandes et se décide à le reéditer... on sait jamais.

Bravo et merci, Michel




jeudi 11 juin 2009

Jean-Michel CARADEC


Caradec était un compagnon de route de Maxime Le Forestier. Resté sur le carreau un peu plus longtemps que lui, il sort ce premier album vers 1972-73. A l'inverse du barbu baba-cool, Caradec choisit d'emblée des arrangements plus travaillés, des textes moins typés. Au risque de se vautrer dans la mièvrerie via un romantisme exacerbé. Et pourtant. Sous une apparence certes plus superficielle que les chanteurs à texte de l'époque, Caradec ne fait pas que chanter les Coralines, de Madeline, Christophe et Lison. Tu t'appelles pas Blanche-Neige, dit-il sur Mords la Vie. Démystification en douceur.

Hommage à Brian Jones aussi. Goguenard souvent, graveleux parfois (Quelle Histoire), Caradec savait aussi se dévoiler (La Course au Soleil, singlant).

Parachuté en haut du hit-parade d'André Torrent avec Ma Petite Fille de Rêve, sur l'album suivant, Caradec aura toujours un public entre deux chaises : variétoche ou chanteur à textes ? C'est l'époque où il fallait choisir son camp, camarade. Pas question de second degré, connais pas. Et l'on oublie trop souvent que Caradec était aussi producteur, pour assurer les fins de mois. On lui doit un album de Jack Treese. Magnifique. C'est pas du Patrick Juvet, les cocos.

Et puis aussi, Caradec était dévoué à Dylan ET Elton John. Pas facile de concilier les deux. Il n'y arrivera pas.

Malgré les vagues de reéditions CD à tout va, les albums Polydor ne connaîtront jamais la joie du numérique, à l'exception d'un affreux Master Series vite fait bien fait. Son épouse et ses enfants reéditeront plus ou moins à compte d'auteur les albums suivants (dont l'immense Portsall), maladroitement malheureusement, et sans grand succès.

Décédé dans un bête accident de la route en pleine tournée, en 1981, nous ne saurons jamais ce qu'aurait pu nous offrir un Caradec à 40-50 ou 60 ans. Plus mûr qu'un Souchon ou un Bashung à l'époque, on ne peut qu'imaginer les chefs d'oeuvre dont il nous aura fatalement privé.

J'aime à croire que ce premier album fera plaisir à quelques personnes. J'ai personnellement mis une dizaine d'années à retrouver le vinyl. Profitez-en maintenant. La suite dans un prochain numéro.

Jean-Michel Caradec

mardi 9 juin 2009

Y'a une Route


1975. Manset fait un carton avec Il Voyage en Solitaire. Sept ans ont passé depuis Animal on est Mal, après mai 68 la France s'est pris le choc pétrolier dans la figure, et l'ambiance n'est plus à la rigolade. Mike Brant s'est suicidé, Joe Dassin laisse tomber les chansonnettes sympatoches pour verser dans le slow italo-libidineux (énorme succès de l'Eté Indien).

Pour Manset, toujours trop lucide, cela ne change rien si ce n'est que le voilà en phase avec un nouveau public, prêt à tout laisser tomber, au moins le temps d'un slow. Pas fréquent. Cela se reproduira avec Marin'Bar, au moment des derniers soubresauts des trente glorieuses, et basta. Manset ne digérera pas par la suite l'échec de Lumières et Prisonnier de l'Inutile. Break. Mais c'est une autre affaire.

C'est l'album de l'invitation aux voyages. Manset, de dos (bien sûr), sur un quai de gare, nous promet qu'il y'a une route (tu la prends qu'est-ce que ça coûte), de préférence en solitaire (nul ne l'oblige à se taire). Demande du fric à ton vieux, et tire-toi d'ici. Dans Royaume de Siam, Manset nous enverra une carte postale de ses voyages, et quelques raisons possibles de son départ (Balancé, Fini d'y Croire...). 

Voici donc Y'a une Route en version d'époque. A l'exception de deux titres l'album a été reédité en CD, mais en "remixage digital 1988". Quand on sait l'importance que Manset accorde au mixage - au point de mentionner sur ses pochettes "paroles, musiques, orchestration et mixage", la version d'époque - bien évidemment censurée - mérite une deuxième vie.

Y'a une route